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Portus, les ports de Claude et de Trajan

  • Alain Foucaut
  • 5 mai 2022
  • 7 min de lecture

Portus — ou Portus Augusti, ou Porto Romano — est un grand port artificiel de Rome, en Italie, à l'époque antique. Il est situé sur la rive nord de l'embouchure du Tibre, sur la côte tyrrhénienne. Il a été établi par l'empereur Claude dans les années 40 apr. J.-C., puis agrandi par Trajan dans les années 100.

Portus, la “Strada colonnata”

Grand port de commerce et de voyageurs, il assurait le ravitaillement de Rome, notamment en blé, en minerai (or, argent, plomb) provenant notamment du nord du continent africain et d'Hispanie, et permettait d’abriter les plus imposants bateaux de toute la Méditerranée. Le port antique de Carthage était par exemple dix fois plus petit.

Avant la construction de Portus vers le milieu du Ier siècle ap. J.-C., c’est le seul port d’Ostie qui assurait la réception et le stockage des marchandises en provenance de la Méditerranée et en particulier du port campanien de Pouzzoles. La largeur réduite du Tibre empêchait toutefois les grands navires d’accoster directement le long des quais urbains qui étaient donc obligés de décharger systématiquement leurs cargaisons sur des navires plus petits, capables de remonter le fleuve pour atteindre les différentes zones de stockage distribuées dans la ville, en général relativement proches du fleuve. Cette procédure complexe de ravitaillement des entrepôts ostiens a fini par devenir insuffisante lorsque l’expansion des territoires de l’Empire a entraîné un afflux toujours plus intense des marchandises à destination de Rome.

Il fallait non seulement augmenter les capacités de stockage de la ville portuaire mais surtout assurer une meilleure logistique en matière de gestion du trafic maritime et d’accueil des embarcations. Entre le Ier et le milieu du IIe siècle ap. J.-C., de nombreux nouveaux entrepôts seront construits à Ostie, de part et d’autre du fleuve, en s’insérant tant bien que mal dans un tissu urbain déjà très dense. À l’époque antonine, la superficie totale dédiée au stockage atteindra à peine les 7 hectares.

Portus, la Darse

Parallèlement au développement des entrepôts urbains, l’empereur Claude relève le défi en proposant à ses ingénieurs la création d’un nouveau pôle portuaire au nord d’Ostie, permettant non seulement d’améliorer considérablement les conditions d’accueil des bateaux mais aussi de dépasser les limites urbaines pour anticiper les besoins croissants en matière de stockage de marchandises. Nous savons que le chantier de Claude pour la construction de Portus a démarré vers 42 ap. J.-C., au début de son règne. La description qu’en fait Dion Cassius sans son HistoireRomaine ne laisse pas de doute sur la dimension extrêmement ambitieuse de ce projet totalement innovant pour l’époque et qui permettra à l’Urbs de renforcer et sécuriser son système de ravitaillement.

Les travaux menés par l’École française de Rome à Portus depuis 2009 ont permis de renouveler nos connaissances sur les infrastructures de ce nouveau complexe portuaire voulu par Claude mais complété par Trajan et les autres empereurs antonins et entièrement réorganisé sous la dynastie sévérienne pour être maintenu en activité bien au-delà de l’époque impériale. Le grand bassin portuaire d’environ 200 ha, qui pouvait désormais accueillir plusieurs centaines de navires en même temps, était délimité par deux énormes môles en arc de cercle construits directement dans la mer.

môles

Un môle est un amas de roches entassés plus ou moins régulièrement qui peut être maçonné pour servir de quai. Le môle se situe à l’extrémité de la jetée afin de protéger l’entrée d’un port tel un brise-lames contre la mer ou pour diviser un bassin en darses.

Ces derniers protégeaient le port interne qui lui, selon la description de Dion Cassius confirmée par les récentes observations archéologiques réalisées sur les fondations des monuments claudiens, avait préalablement été construit sur la terre ferme avant que la mer ne pénètre entre les bâtiments.

Le cœur logistique du port interne de Claude se révèle être un gigantesque complexe de stockage d’environ 10 ha erronément baptisé « Grandi Magazzini Traianei » par les archéologues du début du XXe siècle.

Des colonnes en travertin aux tambours grossièrement bosselés de style bugnato courraient le long de tous les portiques de ces entrepôts dits « de Trajan » et sans doute aussi le long du môle nord-sud qui en complétait le portique ouest et protégeait les quais exposés des entrepôts des houles internes du bassin portuaire. Cette imposante colonnade devait offrir une longue et majestueuse façade maritime au regard de toute embarcation pénétrant au cœur du nouveau port de la capitale de l’empire.

La planimétrie des entrepôts claudiens est extrêmement innovante par rapport à celle, plus classique, des entrepôts d’Ostie et de Rome. Elle témoigne sans doute d’une préparation technologique particulièrement poussée de l’entourage de l’empereur. Organisée autour d’un axe central monumentalisé, communément appelé Strada Colonnata, elle se compose de quatre corps de fabrique distincts. Le premier constitue la façade maritime de l’édifice et court derrière l’imposante colonnade du dit portique de Claude ; les trois autres s’articulent perpendiculairement à celui-ci et sont distanciés entre eux ; au nord par une darse (bassin destiné à l’accostage), au sud par une longue et large cour.

Chacun de ces trois corps de fabrique transversaux s’organisent ultérieurement autour d’un autre axe de symétrie secondaire, parallèle à la Strada Colonnata, constitué d’un long et large couloir découvert.

Cette planification sophistiquée du complexe visait à optimiser l’accès des embarcations et la circulation des marchandises. Elle prévoyait, entre autres, une distribution des espaces de stockage pour les corps de fabrique transversaux organisée par blocs de 4 à 6 cellules séparés entre eux par des passages transversaux flanqués de rampes d’escaliers qui permettaient l’accès à l’étage. Cette organisation assurait une certaine autonomie de chaque bloc qui pouvait ainsi, grâce à la présence systématique de seuils et de portes au niveau des passages transversaux, être sécurisé indépendamment.

C’est d’ailleurs au-dessus de ces passages et de la couverture en terrasse des entrepôts que nous restituons des citernes pour le stockage de l’eau de pluie. La trentaine de citernes ainsi restituées permettaient de couvrir aisément les besoins en eau de l’édifice (nettoyage des cellules et des zones de circulation, alimentation en eau des travailleurs) mais aussi de disposer, pendant quelques mois de l’année, de surplus en eau qui devait de la sorte être immédiatement redistribués vers les navires présents dans le port et nécessitant un approvisionnement en eau douce.

Prévues dans le projet initial au nombre d’environ 400, les cellules de stockage avaient une capacité constante de 90 m2 chacune, ce qui représente une capacité nette de stockage pour l’ensemble des entrepôts de plus de 3,5 hectares. À titre de comparaison, les Grandi Horrea d’Ostie, l’un des plus grands entrepôts de l’autre port maritime de la capitale, avaient une capacité nette de stockage de moins d’un demi-hectare.

Quasiment toutes les cellules fouillées présentent un système de sol surélevé permettant, entre autres, une meilleure conservation des denrées périssables, mais les caractéristiques techniques de ces dispositifs sont en revanche attribuables uniquement aux chantiers antonins, sévériens ou de l’Antiquité tardive.

Aucune évidence architecturale ne permet donc aujourd’hui d’affirmer que ces dispositifs étaient prévus dès l’origine, même si la préparation du sol sous-jacent, particulièrement perméable, pourrait permettre d’envisager cette possibilité. Comme la plupart des cellules de stockage des autres entrepôts du territoire de Rome, celles de Portus sont de forme allongée, présentant systématiquement une longueur de dimension double à la largeur (environ 13,5-14 x 6-6,5 m). L’ouverture frontale est particulièrement large (2,60 m), ce qui permettait une bonne aération de la cellule lors des opérations de chargement et déchargement et de nettoyage, et elle est munie d’un seuil en travertin surélevé pour favoriser les manutentions entre l’extérieur et l’intérieur mais aussi pour protéger la cellule des éventuelles contaminations extérieures directes.

Par comparaison avec les autres entrepôts connus à Ostie, il est vraisemblable que la façade des entrepôts était complétée en hauteur par une ou plusieurs fenêtres en meurtrière qui, répondant au même dispositif sur le mur de fond de la cellule, permettait une aération dynamique de l’espace et une évacuation efficace de la chaleur et de l’humidité qui avaient tendance à remonter sous la voûte en berceau qui couvrait chaque cellule de stockage. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui explique la hauteur particulièrement importante de ces cellules (autour de 5,50 m pour le départ de voûte) et non la possibilité de stocker verticalement les marchandises.

Les entrepôts dits Sévériens

Les entrepôts dits Sévériens constituaient à l’époque antique un autre grand complexe de stockage. Un côté de ce complexe surplombe le bassin hexagonal, c’est aujourd’hui le seul point de vue, depuis la zone archéologique, sur le bassin de Trajan.

Ainsi, la récente étude archéologique et architecturale du monument menée par l’EFR indique que les entrepôts dits de Trajan, conçus et construits en grande partie par Claude, complétés par les Antonins et totalement remaniés sous les Sévères, s’imposent comme le plus grand et le plus sophistiqué de tous les complexes de stockage du monde antique. Ces docks high-tech des empereurs romains ont d’ailleurs continué à stocker les marchandises de la ville tardo-antique de Portus dont le mur d’enceinte courrait sur les flancs nord et est du monument.

Le port subvient aux besoins alimentaires de Rome pendant cinq siècles ; à l'abri des tempêtes, il est utilisable environ 180-190 jours par an. Sa décadence est à situer lors des guerres avec les Goths et Byzance, vers les Ve et VIe siècles, alors que la population de Rome est réduite à 30 000-40 000 habitants. Au Xe siècle, une bulle papale invite les navires souhaitant mouiller à Amalfi à vider leurs cales à Portus, ce qui est analysé comme une tentative de revitaliser le port antique.

Portus, Le môle de la Lanterne

Aujourd'hui, la zone entourant l'hexagone du lac, où se trouvent les restes de structures de toutes natures relatives aux activités du port, est placée sous la protection de la « Soprintendenza Archeologica di Ostia » (Surintendance archéologique d'Ostie) et peut être visitée. De l'époque impériale, seul le bassin portuaire de Trajan, encore en eau, subsiste ; la majeure partie des canaux ont disparu sous les sédiments.

le bassin portuaire de Trajan

Des fouilles archéologiques sont entreprises à partir de 2007 par le ministère italien des Biens culturels, en partenariat avec l'université de Southampton (Royaume-Uni) ; d'autres fouilles sont depuis menées parallèlement par l'École française de Rome et l'université d'Aix-en-Provence, qui pour leur part se concentrent sur l'économie des grands silos construits sous le règne de Septime Sévère (145-211), qui accueillaient de tout l'Empire des laines, céréales et autres denrées périssables.

En juillet 2014 sont mis au jour sur le site de Portus une fosse large de 12 mètres bordée de colonnades hautes de 16 mètres avec des encoches sur les murs afin de caler les étais maintenant en équilibre les navires tirés au sec, un pavement en terre cuite et trois tombes d'époque tardive.

Des objets de travail ont également été exhumés, comme des clous de charpenterie, des fondations qui accueillaient des grues en bois ainsi que des bittes d'amarrage. Ces fouilles ont permis de confirmer la présence d'un ancien palais impérial (avec des marbres, des travertins blancs et des mosaïques de couleur) servant de quartier général au préfet maritime ainsi que de lieu d'accueil pour les hôtes de marque, en particulier lors des passages de l'empereur.

À l'automne de la même année, les archéologues projettent de dégager les thermes de cette cité portuaire très active, qui comptait également une basilique et plusieurs nécropoles.

Visité en 2022.


Via Portuense, 2360, 00054 Fiumicino RM, Italie

Accès payant


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