Eglise Notre-Dame-la-Grande, joyaux de l’art roman
- Alain Foucaut
- 18 oct. 2020
- 4 min de lecture
A l’époque de Limonum, le quartier Notre-Dame était dense et proche des centres d’activités développés autour du forum. Le mur nord de l’église montre les vestiges d’une élévation antique (ou pré-romane) composée de briques et de pierres, avec un début d’arc, intégré dans le bâti médiéval.

Notre-Dame-la-Grande est mentionnée pour la première fois au Xe siècle, sous le nom latin Sancta Maria Major en référence à l’église Sainte-Marie-Majeure de Rome. Elle possédait alors un double statut, à la fois paroisse et collégiale, et dépendait des chanoines de la cathédrale. Rebâtie au XIe siècle, elle est consacrée par le futur pape Urbain II lors de son passage à Poitiers en juillet 1086. L’édifice est alors plus court qu’aujourd’hui, se terminant par un clocherporche occidental. Au début du XIIe siècle, l’église connaît de gros travaux : le clocher-porche est démoli, deux travées sont ajoutées pour rallonger la nef, et la célèbre façade est réalisée (vers1115-1130).

Tout au long des XVe et XVIe siècles, différentes chapelles privées appartenant aux familles de la haute bourgeoisie poitevine sont aménagées du côté nord de l’église. En 1562, le bâtiment subit les destructions des Huguenots qui pillent l’édifice, brûlent les reliques et décapitent la plupart des statues de la façade par iconoclasme. Classée aux Monuments historiques en 1840, l’église va connaître de nombreuses restaurations par la suite. Les constructions parasites, échoppes et maisons qui la masquaient, sont démolies et l’on enlève une grande niche gothique qui modifiait la façade. La pollution, l’usure du temps et la présence de sel dans les pierres (La présence de sel dans la pierre s’explique par la présence, au XVIIe siècle, de marchands sauniers qui avaient placé leurs échoppes contre la façade) ont rendu nécessaire une importante campagne de restauration entre 1992 et 2004.

De toutes les églises romanes de Poitiers, Notre-Dame-la-Grande est celle qui a le mieux conservé son plan et sa silhouette romane, malgré de nombreux ajouts au fil des siècles. N’ayant pas de transept, elle n’a pas la forme en croix latine de la plupart des églises. Enserrée dans un tissu urbain médiéval très dense, et limitée par les constructions existantes et les voies de circulation, l’église conserve de fait un léger désaxement au niveau de la croisée qui, surtout depuis le dégagement de l’église au XIXe siècle, peut sembler mystérieux. La nef est couverte d’une voûte en berceau. Selon une disposition typiquement poitevine et saintongeaise, les collatéraux, voûtés en arêtes, ont une hauteur considérable avoisinant celle de la nef. C’est le principe de l’éclairage indirect, la nef ne pouvant pas recevoir d’ouvertures. Ce sont les murs des collatéraux qui sont percés de fenêtres réduites mais évasées vers l’intérieur.

Le chœur est entouré de six colonnes aux chapiteaux corinthiens, puis d’un déambulatoire et de chapelles rayonnantes. Une petite crypte a été aménagée, a posteriori, sous le chœur au XIe siècle. Le clocher est couronné d’un toit en écailles. C’est une forme de couverture fréquente dans le Grand ouest.

Il se retrouve par exemple à Saintes ou à Angoulême. Le mur sud conserve son porche roman, bien que très restauré au XIXe siècle. Il était surmonté à l’époque romane d’un cavalier sculpté, haut-relief refait au XVIIe siècle puis détruit après la Révolution. Un petit porche gothique a été rajouté au XVe siècle. Les bâtiments des chanoines étaient situés du côté nord de la nef. Le cloître, datant des XIIe et XIIIe siècles, est totalement démoli en 1859. Les sculptures de ce cloître sont visibles dans la cour de la faculté de droit (en face de l’église) et au musée Sainte-Croix. La porte murée du cloître est toujours visible dans l’église.

De la période romane, seuls subsistent quelques vestiges de décor peint dans le chœur. Bien que très détériorés, on y voit encore une Vierge à l’Enfant dans une mandorle, un Christ en Majesté sur la voûte et les douze apôtres assis sous des arcatures.

Ces figures sont flanquées d’anges accompagnant les âmes vers la Jérusalem céleste. D’autres peintures anciennes, des figures de saints, sont conservées dans la crypte (ne se visite pas). Le décor actuel de l’église date, pour l’essentiel, du XIXe siècle.


En 1851, à la demande du curé, l’architecte Charles Joly-Leterme fit repeindre l’ensemble des parois, voûtes et colonnes avec des peintures selon le goût de l’époque pour la surcharge ornementale.

La hardiesse de ces peintures fut très critiquée dès le XIXe siècle, notamment par l’écrivain Huysmans. Bien qu’assez fantaisistes, ces peintures rappellent la polychromie qui devait exister dans l’édifice à l’époque romane. Le goût du XXe siècle, privilégiant la beauté des formes et des structures brutes, rejette cette esthétique : dans les années 30, les colonnes du choeur furent décapées, mettant à nu la pierre.
Dans le choeur se trouve une statue de la Vierge à l’Enfant, appelée NotreDame-des-Clefs.

Selon une légende médiévale, la Vierge serait intervenue afin d’éviter que la ville ne soit livrée aux Anglais par un traître qui voulait leur en donner la clef. Disparu, le précieux objet fut retrouvé miraculeusement dans la main de la statue. C’était l’origine d’une grande procession ayant lieu tout les lundis de Pâques, jusqu’au XIXe siècle. La statue actuelle, basée sur un modèle de l’époque romane, est une création du XVIIe siècle.
Le programme sculpté est exceptionnel par son abondance, sa qualité et ses scènes historiées. Le pignon est dominé par le Christ en gloire encadré par les symboles des Évangélistes : l'ange de saint Mathieu, le lion de saint Marc, l'aigle de saint Jean et le taureau de saint Luc.




À l'intérieur des arcades du deuxième niveau sont figurés les douze apôtres ainsi qu'un pape et un évêque. Enfin, au-dessus des arcades et du portail du rez-de-chaussée, une frise sculptée horizontale illustre, de gauche à droite, des scènes de l'Ancien Testament (Adam et Ève,

Nabuchodonosor, quatre prophètes) et des épisodes de l'Enfance de Jésus (la Visitation, l'Annonciation, le Bain de l'Enfant, Joseph). À côté de ces scènes historiées, un riche décor ornemental composé de végétaux, d'animaux, de monstres se déploie sur les arcades et sur les corniches.


Visité en 2020.
Place Charles de Gaulle, 86000
Accès libre
Sources:
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