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Le village, et le prieuré de Saint-Loup-de-Naud

Au Xe siècle existe déjà, sur le site du village actuel, un domaine de Naud, où se trouve une chapelle dédiée à saint Loup. Vers 980, l'archevêque de Sens donne la chapelle aux moines bénédictins de l'abbaye Saint-Pierre-le-Vif à Sens, qui y fondent un prieuré.

Saint -loup de Naud en 2011,

En 2018, la croix retrouvée dans les ateliers municipaux est remontée en avant de la toiture du porche.

La construction de l’église commence dans la seconde moitié du XIe siècle, avec l'élévation du chœur, du transept et des deux premières travées de la nef. En 1160, l'archevêque de Sens, Hugues de Toucy, offre au prieuré une relique de saint Loup. C'est sans doute vers cette période que, grâce au comte de Champagne Henri le Libéral, la nef de l'église est agrandie de quatre nouvelles travées et qu'est édifié le portail ouest surmonté d'une tour, dans un style de transition vers le gothique plus affirmé.

L'église avec au devant les vestiges du mur d'enceinte du prieuré.

Au cours du XIIe siècle se développe autour du prieuré un véritable village, que Saint-Loup dessert comme église paroissiale. Le prieuré est cependant victime des bandes anglaises durant la guerre de Cent Ans et abandonné par ses moines. Il est alors mis en commende. En 1567, il est pillé par les protestants lors des guerres de religion. Le prieuré connaît alors un déclin marqué, avant d'être dissous lors de la Révolution française. Aux abords de l’église subsiste encore les vestiges des bâtiments conventuels (ancien prieuré) et de l’enceinte fortifiée.

Plan de l'abbaye de Saint-Loup et du fief de la maison haute (1880).

Au milieu de la vallée brutale que découpe la rivière du Dragon. il existe un promontoire cerné de murs imprenables. Une église le domine, au coeur d'un village de si peu d'âmes. Elle a un porche sculpté qui l'apparente aux plus belles statues de Chartres, à la fin du XIIe siècle. Romane, encore. presque gothique. Une reine de Saba. hiératique et coquette. garde le regard bleu, fardé, que lui laissa son premier peintre. La place minuscule. auprès d'un presbytère enfoui sous les lilas, attend qu'un passant flâne et médite. Il rêvera de Toscane ou de Périgord. sous le clocher carré aux tuiles brunes. Les sculpteurs syriens des foires de Champagne avaient laissé leur touche d-Orient. Les peuples en ce temps-là étaient moins fermés. J'ai retrouvé les mêmes acanthes larges sur les piliers de Sainte-Sophie à Istanbul.

A droite, l'église et à gauche, le toit de la Maison Haute, ou tour de la Haute Maison.

Marcel Proust fit la connaissance de Saint-Loup. Son monde tourne autour, celui de Villeparisis, de Crécy. de Guermantes. Il y a de prétendues Oriane dans les châteaux qui l'avoisinent. Le jeune Marcel faisait des séjours chez Madeleine Lemaire, qui lui inspira pour une bonne part sa Mme Verdurin. Ils venaient en groupe, avec Reynaldo Hahn et les frères Bibesco, pique- niquer près du monastère. Le peintre Elstir, quand il fait la description de l'église de Balbec, «mi-romane-persane», décrit le porche de Saint-Loup. De là à s'approprier l'orgueil d'être la référence un coin tapi de la «Recherche»! Cela suffit à donner au village cet air de littérature.

Violet Trefusis a vécu près de cinquante ans à Saint-Loup. Elle raconte que Proust lui en indiqua le chemin. En pensant à Vita Sackville-West, qu'elle avait tant aimée, elle voulut y faire un parc qui serait le jumeau de celui de Sissinghurst. Il reste ce jardin anglais dans des paysages florentins brouillés par les fouillis de viornes. Colette, qui était une habituée, appelait cette maison la Mélisandière. On y attendait les fées. Elles remonteraient des bois et des sources. Virginia Woolf vint une fois. Je ne sais pas ce qu'elle en voulut écrire. Karen Blixen, âgée et malade, y passa un dernier séjour. Sa lettre de château vaut toutes les célébrations: « Comment peut-on mourir quand on sait qu'il existe des endroits si beaux au monde ?» François Mitterrand a le dernier mot, Violet Trefusis fut son amie. Il la retrouve à Florence où elle va s'éteindre, mais c'est de Saint-Loup qu'il pourrait écrire: «Dans la grande maison persistait la mémoire de passions singulières dont j'avais perçu les derniers cris.»

Dans les années 30. Saint-Loup s'enchanta de musiques. Poulenc, Auric, Milhaud, Britten guettaient des moments de vents entre les transes des fantômes. C'est ainsi qu'on s'amusait, alors, à se faire peur. J'ai gardé la trace d'une «Marseillaise» en «pavane pour le 11-Juillet», composée par Henri Sauguet. La tradition s'est maintenue. Chaque deuxième samedi de septembre, le festival des «après-midi de Saint-Loup» donne des concerts baroques entre l'église le village et les jardins.

Admettons que Saint-Loup n'existe pas. Le village est trop petit, avec sa rue unique. Les fleurs poussent sur les murs, jetées du ciel, croirait-on. Les jardins sont cachés contre la forêt. Des visages de pierre vous suivent du regard. Il faudrait marcher sans se perdre, longer les murs dressés et les tours coupées au faîte. Mais ce pays n'existe pas. La chevauchée des siècles a ignoré le monde en contrebas. Les cavaliers ou les raisonneurs ont franchi à toute vitesse cette faille à la géologie trop complexe. Ils se sont retrouvés de l'autre coté, sur la même plaine qui conduit jusqu'au bout de cette Europe rase et sans parapet.

Thierry de Beaucé, publié dans l'Express le 24/06/1993

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77650 Saint-Loup-de-Naud

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