Le tombeau de Saint-Yves
- Alain Foucaut
- 13 juin 2017
- 4 min de lecture
Yves Héloury de Kermartin est né (selon la plupart de ses biographes) en 1250 ou 1253, au manoir familial de Kermartin situé au Minihy, qui faisait partie de la paroisse de Tréguier.
Son père était de petite noblesse bretonne. Sa mère, Azou du Quinquis, était une femme très pieuse qui aimait répéter à son fils : « Vivez mon fils de telle manière à devenir un saint. » Cette recommandation restera gravée dans le cœur d’Yves tout au long de sa vie.
Dans le manoir de Kermartin dont il a hérité, Yves ouvre un lieu de refuge, où il accueille sans distinction les vagabonds et les exclus. Il prend le temps de les écouter. Il soigne ceux qui sont malades ou blessés. Tard dans la nuit, il ouvre les portes de sa maison et donne à manger à ceux qui frappent ; il accompagne les mourants à l’Hôtel-Dieu de Tréguier.
Le 19 mai 1303, Yves qui est alors âgé de 50 ans s’endort paisiblement dans la mort. Il sera inhumé le 21 mai. Des foules entières vont venir prier sur sa tombe et des faits extraordinaires vont se produire : « Les boîteux marchent, les sourds entendent, les aveugles voient ».
Après une enquête minutieuse, 44 ans après sa mort, Yves Héloury de Kermartin sera officiellement déclaré « Saint » par le Pape Clément VI.

Dans le cimetière se trouve un autel, dit " tombeau de saint Yves " et qui date du XVème siècle. Il s'agit, semble-t-il, d'une pierre d'autel placée après les transformations de l'église en 1460, dans le choeur, puis remplacée dans l'église par un autel plus important vers 1860. Cette pierre est alors placée dans le cimetière sous une chapelle, aujourd'hui détruite, représentant le cénotaphe des parents de saint Yves. L'édifice est constitué d'un seul bloc de pierre, en granit de Kersanton : il est percé en son milieu d'une arcade cintrée et décoré sus ses faces d'arcatures aveugles flamboyantes.

Si le 19 mai est devenu, depuis quelques années, le jour de la Fête de la Bretagne, ce n’est pas par hasard. En effet, c’est le jour de la saint Yves, saint patron de la Bretagne aux côtés de sainte Anne. A Tréguier – cité où la religion n’est jamais très loin – la célébration d’Yves Hélory de Kermartin (1253-1303) prend la forme d’un grand pardon.

Ce pardon est une forme originale d’expression populaire de la foi en Bretagne. A partir du XIVe siècle, cette fête religieuse a pour but d’obtenir des indulgences, et ainsi éviter le Purgatoire après la mort.1 A l’époque contemporaine, les formes du pardon ont évolué. C’est désormais une fête patronale célébrée par une communauté paroissiale, voire un quartier autour de sa chapelle.

Dans ses mémoires, Ernest Renan présente ainsi la célébration de Saint Yves à Tréguier :
« Saint Yves était l'objet d'un culte encore plus populaire. Le digne patron des avocats est né dans le minihi [lieu consacré par la résidence d'un saint] de Tréguier, et sa petite église y est entourée d'une grande vénération. Ce défenseur des pauvres, des veuves, des orphelins, est devenu dans le pays le grand justicier, le redresseur de torts. En l'adjurant avec certaines formules, dans sa mystérieuse chapelle de Saint-Yves de la vérité, contre un ennemi dont on est victime, en lui disant : "tu étais juste de ton vivant, montre que tu l'es encore", on est sûr que l'ennemi mourra dans l'année. […] Le mois de mai, où tombait la fête de ce saint excellent, n'était qu'une suite de processions au minihi ; les paroisses, précédées de leurs croix processionnelles, se rencontraient sur les chemins ; on faisait alors embrasser les croix en signe d'alliance. La veille de la fête, le peuple se réunissait le soir dans l'église, et, à minuit, le saint étendait le bras pour bénir l'assistance prosternée. Mais, s'il y avait dans la foule un seul incrédule qui levât les yeux pour voir si le miracle était réel, le saint, justement blessé de ce soupçon, ne bougeait pas, et, par la faute du mécréant, personne n'était béni. »

Le pardon comporte d’abord un certain nombre d’offices religieux : une veillée pénitentielle la veille, la grand-messe et les vêpres solennelles. Lors de ces offices de nombreux cantiques locaux sont chantés par les fidèles. A Tréguier, c’est le Kantik sant Erwan (Cantique à Saint Yves) qui résonne en breton :
« Nan eus ket e Breizh, nan eus ket unan Nan eus ket ur sant, evel sant Erwan, Nan eus ket ur sant, evel sant Erwan […] »
Une procession se déroule ensuite dans les rues de Tréguier. Les reliques du saint – son crâne dans une châsse en vermeil – sont alors portées par une délégation d’avocat, puisque Saint Yves est également le saint patron des hommes de loi. La foule des pèlerins déambulent sous les bannières.
La procession se poursuit jusqu’au lieu du manoir natal du saint – brûlé au XIXe siècle – à Minihy-Tréguier. Là, les pèlerins accomplissent un rite original en passant agenouillés sous le tombeau de Saint Yves.
Plus généralement, les pardons sont également un moment de réjouissance collective. La fête religieuse se complète d’une fête paroissiale avec repas, danses (fest noz), jeux comme les tournois de soule (sorte de lutte bretonne). Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle de « moment de rencontre » pour la jeunesse, tout comme peuvent l’être les moissons en campagne. D’ailleurs, l’expression courante de « coureur de pardon » caractérise les jeunes hommes friands de fêtes et de boissons.

Passage sous le tombeau de Saint Yves lors de la procession à Minihy-Tréguier. Carte postale, collection particulière.
Thomas PERRONO
Cimetière de Minihy-Tréguier
Accès libre

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