Reims, cathédrale du sacre
- Alain Foucaut
- 4 sept. 2016
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Le baptême de Clovis par saint Remi, en 498-499, constitue l'acte fondateur de l'onction royale dans la cathédrale de Reims. Cependant, le premier roi à être sacré est Pépin le Bref en 751, à Soissons, puis, à nouveau, à Saint-Denis, en 754, par le pape Etienne II. Il faut attendre le sacre de Louis le Pieux en 816 et un diplôme de l'empereur à l'archevêque Ebbon pour que la cathédrale de Reims soit explicitement retenue en référence au baptême de Clovis. Néanmoins, le choix de Louis le Pieux n'est pas suivi par ses successeurs immédiats, carolingiens ou robertiens, et ce n'est qu'au début du XIe siècle que la cathédrale de Reims s'impose finalement comme le lieu du sacre. Dès lors, à l'exception de Louis VI (Orléans) et de Henri IV (Chartres), tous les rois de France sacrés (Louis XVIII et Louis-Philippe ne le furent pas) le sont à Reims des mains de son archevêque, parfois par un autre prélat, lorsque le siège métropolitain est vacant.

A l'image des rois de l'Ancien Testament, le sacre constitue l'alliance conclue entre Dieu et le souverain capétien : en échange de l'onction divine, le roi promet de régner selon la justice, de protéger ses peuples, de soutenir la religion. Cette alliance prend corps avec l'apparition au IXe siècle de la légende de la Sainte Ampoule. C'est en effet à l'occasion du sacre de Charles le Chauve, à Metz, que l'archevêque de Reims Hincmar, dans sa Vita Remigii, relate le miracle de cette petite fiole apportée à saint Remi par une colombe envoyée par Dieu pour oindre Clovis. A partir de plusieurs traditions rémoises, Hincmar embellit la découverte, dans la tombe de saint Remi, d'une ampoule d'aromates ayant servi à embaumer le corps du prélat. Authentifiée par le pape Innocent II en 1131 et confiée à la garde de l'abbaye de Saint-Remi jusqu'à la Révolution, la Sainte Ampoule assure ainsi définitivement le privilège de l'Eglise de Reims de sacrer les rois de France.

La cathédrale Notre-Dame de Reims porte depuis 800 ans le renom de la région à travers le monde et continue à témoigner de l’histoire de France. Lieu du sacre des rois de France (vingt-neuf rois de France ont été couronnés à Reims entre 1027 et 1825), la cathédrale acquiert pour le monde contemporain un destin européen après la réconciliation franco-allemande officialisée sous ses voûtes par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer en juillet 1962. Notre-Dame de Reims est également incontournable sur le plan de l’histoire de l’art : fleuron de l’architecture gothique, la cathédrale, qualifiée de référence universelle, est inscrite sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis décembre 1991.

Le christianisme est introduit à Reims par saint Sixte au milieu du IIIème siècle. L’existence d’une cathédrale est, quant à elle, admise au siècle suivant. Mais au tournant du Vème siècle le siège de l’évêque est transféré à l’emplacement d’anciens thermes gallo-romains, là même où s’élève la cathédrale actuelle. La cathédrale du Vème siècle est restée dans l’histoire : sur le seuil, son évêque Nicaise est décapité lors d’invasions barbares et c’est dans son baptistère que se déroulera le baptême de Clovis. Une nouvelle cathédrale sera édifiée au IXème siècle qui, après bien des transformations, connaîtra un programme de reconstruction partielle aboutissant, au XIIème siècle, à un édifice ample et richement décoré. Celui-ci brûle dans l’incendie qui embrase tout le quartier, « l’année d’une éclipse de soleil », entre 1207 et 1210.

Le chantier de construction d’une nouvelle cathédrale commence officiellement le 6 mai 1211. Aubry de Humbert, archevêque, met à contribution le talent des bâtisseurs de l’époque (qu’on qualifiera bien plus tard de « gothique »). Les avancées techniques sont mises au service des thèses des théologiens, dont celles de l’abbé Suger qui avait dirigé la reconstruction de la basilique de Saint-Denis, pour qui l’édifice doit être un écrin de lumière. L’édification des premières cathédrales gothiques à Sens, Noyon, Laon, Paris, Senlis, puis la « modernité » des édifices de Soissons et Chartres sont autant d’expériences dont Reims va bénéficier.
La construction de la cathédrale rémoise commence par le chevet (là où il y a l’autel), englobant l’ancienne cathédrale incendiée, démolie au fur et à mesure, et dont on pense conserver la façade pour laquelle on conçoit portails et statues jusqu’en 1252, date à laquelle on décide de détruire des maisons appartenant à des chanoines. Cet espace libéré permet un édifice plus long, doté d’une façade neuve. Le gros œuvre, c’est-à-dire le voûtement de la nef et l’érection de la façade jusqu’en haut de la Grande Rose se déroule sur 80 ans, jusqu’à la fin de XIIIème siècle et sous la direction de quatre architectes différents.

Le plan, en croix latine, est celui d’un édifice vaste, avec une longueur intérieure de 138 m et un chœur canonial, scène du sacre du roi de France qui empiète de trois travées sur la nef. Les collatéraux (bas-côtés) n’ont jamais été pourvus de chapelles latérales. Le transept est peu saillant. Le sanctuaire comporte un déambulatoire pourvu de cinq chapelles rayonnantes ; la chapelle axiale étant plus profonde.
Le voûtement sur croisées d’ogives de la nef culmine à 38 m et l’élévation intérieure, sur le modèle des cathédrales de Soissons et de Chartres, est à trois niveaux : grandes arcades dont l’ampleur correspond aux fenêtres des collatéraux, triforium (galerie de circulation) et fenêtres hautes. Le mur n’est plus porteur et le poids de la voûte est contrebuté à l’extérieur par les arcs-boutants dont les têtes superposées prennent appui sur des culées, ornées d’anges aux ailes déployées. Assurant parfaitement leur rôle technique, les arcs-boutants rémois sont de magnifiques éléments décoratifs symbolisant l’élégance de la cathédrale rémoise.

Grâce à cette ingéniosité, la cathédrale est un écrin de lumière : les fenêtres se succèdent, sur le modèle novateur de la fenêtre « châssis » occupée par deux lancettes surmontées d’une rose à six lobes, admirée et dès lors, copiée. Autre nouveauté et prouesse technique : les tympans des trois portails de la façade sont occupés par des roses.

Il convient d’imaginer la métamorphose de la lumière provoquée par les vitraux disparus : ceux des fenêtres basses sont cassés par les chanoines dans la seconde moitié du XVIIIème siècle pour éclairer les collatéraux et la nef.

Plus de 3 000 m² de vitraux anéantis par la Première Guerre mondiale sont restaurés ou recréés par la famille Simon-Marq, maîtres-verriers à Reims depuis le XVIIème siècle. Marc Chagall (1974)


ou Imi Knoebel juin 2011) honorent de leur talent trois chapelles rayonnantes.

Au Moyen-âge, la pierre, grâce à la sculpture, fait aussi partie du monde des images et une polychromie aussi éclatante que celle des vitraux en facilite la lecture . Une correspondance thématique est souvent établie, au même endroit de l’édifice, entre le vitrail à l’intérieur et la sculpture à l’extérieur. Avant 1918, plus de 2 300 sculptures figuratives avaient été dénombrées sans compter les éléments décoratifs naturalistes. Sculptures en haut relief du revers du portail ou statues hautes de plusieurs mètres de la façade sont autant de séquences narratives mettant en scène l’histoire Sainte et l’histoire de l’Eglise de Reims avec ses saints locaux. Le rôle de cathédrale royale (accueillant le sacre de vingt-cinq rois) est également mis à l’honneur.

La cathédrale de Reims est admirable : elle atteste la maîtrise des techniques les plus innovatrices et rend compte de la culture médiévale dont la richesse de son iconographie donne le résumé. La cathédrale doit autant à ses restaurateurs qui ont su mettre inventivité et talent à son service : l’architecte en chef des Monuments historiques, Henri Deneux, étant le plus emblématique. C’est lui, qui après la Première Guerre mondiale, reconstruira le monument et le dotera d’une charpente en ciment armé. La page des destructions volontaires est tournée. En 1962, c’est sous ses voûtes que la réconciliation franco-allemande est officialisée. Cette messe à la cathédrale participe à la construction européenne. En 1991, en même temps que le Palais du Tau, mais aussi l’ancienne abbaye royale Saint-Remi et sa basilique pour leur rôle lors des sacres royaux, Notre-Dame de Reims est inscrite par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial : c’est devant l’humanité toute entière qu’elle témoigne du travail des bâtisseurs depuis 800 ans.
Place du Cardinal Luçon, 51100 Reims
Accès gratuit