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La « Vierge retrouvée » de Saint-Germain-des-Prés

Il y a quelques années, quelque part autour de la place de Fürstemberg, la pioche et la pelleteuse qui éventraient le sol de l’ancienne abbaye éveillèrent des pierres singulières.

Ici, c’était un visage, et là, de grands blocs illisibles mais travaillés par l’homme. Ces fragments ne furent pas brisés ou enterrés à nouveau, comme cela se produit trop souvent : récoltés avec soin, ils quittèrent sans bruit le lieu de leur sommeil sous les regards intrigués de quelques passants.

Près de dix ans plus tard, une belle surprise attend le visiteur de l’église abbatiale. Une grande Vierge à l’Enfant fragmentaire s’offre à lui, au détour d’une chapelle absidiale. Et pendant que tant de statues sont ignorées des visiteurs, elle attire l’attention. Peut-être certains la prennent-il pour une œuvre contemporaine ? C’est pourtant une bien vénérable Dame. Ne lui demandez pas son âge, cela va de soi ! Pour ma part, je vous le chuchoterais à l’oreille, si vous me promettez de ne pas le répéter : elle peut être datée autour de 1250 …

La belle mais volage Fortune a voulu que nous contemplions cette œuvre. Inachevée, elle fut abandonnée par l’artiste. Car il semble, d’après la cassure très nette qui traverse la statue en son milieu, que le bloc n’ait pas supporté le ciseau de « l’ymagier ». Des failles anciennes, demeurées invisible aux carriers experts, s’éveillèrent sous les coups de l’artisan et brisèrent son élan mystique et amoureux. Conformément aux règlements de corporation, qui nous sont connus par le Livre des métiers d’Etienne Boileau miraculeusement conservé (1268), nul ne pouvait sculpter une figure à partir de plusieurs morceaux, par exemple si le bloc se cassait. Par ailleurs, nul ne pouvait briser une statue de la Mère du Seigneur. De stricts interdits canoniques s’appliquaient, qu’il n’était pas nécessaire de justifier, tant la Foi était vive. Même si le bloc pouvait encore servir à quelque maçon, la tradition voulait qu’on enterrât l’image. Pour notre plus grand bonheur ! Ce principe, qui persista jusqu’au XIX ème siècle, est à l’origine de nombreuses découvertes, et annonce de belles surprises à venir.

Cette belle statue est, de toute évidence, une Vierge. Il ne peut s’agir d’une Sainte Anne, ni d’un « christophore » masculin – parmi lesquels saint Joseph, le vieillard Siméon, et bien sûr saint Christophe. Sa grande couronne à peine dégrossie, qui lui donne un curieux air de « koré » grecque coiffée de son « polos », est un attribut unique : celui de Reine du Ciel.

Son grand visage calme, sur lequel semble se dessiner un sourire, voilà ce qui touche en premier le spectateur. Nous l’avons vu, l’absence de frontalité, la tête penchée vers le Christ, signe d’une interaction entre les deux acteurs de cette jolie scène, nous place dans la lignée des Vierges de Tendresse, à partir de la seconde moitié du XIIIème siècle.

Le drapé s’inscrit dans la manière gothique du XIII ème siècle. Les plis sont profonds et plastiques, s’opposant à un traitement de surface purement graphique imitant l’enluminure ou l’ivoire (2), et d’une conception plus avancée que le style antiquisant.

L’élément le mieux conservé du drapé est ce grand manteau qui enserre le bras droit – celui qui ne porte pas l’Enfant, et revient sous le bras gauche, pour retomber sur le côté sous la forme à peine ébauchée d’une très modeste cascade de plis plaquée sur la taille. Quelque accident qu’ait subi cette Vierge, elle ne devait pas montrer dans son état final ces grandes retombées de plis en volutes et tuyaux d’orgue si caractéristiques du XIV ème siècle. Dans sa partie inférieure, le manteau retombe par de grandes lignes diagonales de gauche à droite.

Personnellement, je préférais son ancien emplacement, dans une chapelle rayonnante que dans la croisée du transept ou on ne la voit plus guère.

3 Place Saint-Germain des Prés, 75006 Paris

Accès libre

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